Avec le dernier rapport sur la Tunisie de l'IFEX un autre chapitre du livre noir de la dictature s'ajoute
dans le dossier de dénonciation des dérives autoritaires que connaît notre pays
ces dernières années. « La liberté d'expression assiégée » semble un titre fort pour
exprimer la stupéfaction de la mission sur la gravité de la situation dont ils
ont pu faire le constat directement [1]. Pourtant si ce n'était que l'expression qui est assiégée dans
ce pays cela aurait pu passer et nous aurions pu comprendre ceux qui nous font
patienter à vivre comme des muets. Nous ne savons plus par qui ni pourquoi ni
depuis quand l'état de siége est décrété sur ce pays transformé en véritable
goulag pour ses habitants. La vie pourtant continue calmement présentant un pays
attrayant ou rien ne peut perturber les nostalgiques de l'attrait de son soleil
et de ses plages et de ses hôtels bon marché sauf l'excès de sollicitude
hospitalière de ses habitants qui cultivent au fond de leur secret l'espoir de
pouvoir s'évader.
Face à
ce qui est réellement le sort du citoyen ordinaire en Tunisie, ces rapports ne
font que décrire des situations enviées de personnes qui ont déjà acquis la
protection de la notoriété et qui sont en rupture de puis longtemps avec la
dictature.
Dans un
précédent rapport Amnistie Internationale avait choisi « le cycle de l'injustice » comme titre aux conclusions de sa
mission. D'autres organisations internationales et non des moindres font
l'unanimité dans la description d'une situation qui n'a aucun trait d'union avec
le respect des valeurs des Droits de l'Homme, de la justice, de l'égalité et de
la liberté par les autorités [2].
Cela fait de la communauté des ONG internationales le plus important parti
d'opposition en Tunisie. Si des partis d'opposition existent et sont légalement
reconnus à l'intérieur même du pays toute activité leur demeure de fait
rigoureusement interdite. Piégés par leur existence même à prouver leurs assises
et leur représentativité pour ne servir en fin de compte que de caution à la
dictature pour se prévaloir de la légitimité d'une unanimité jamais remise en
question par la société.
Cette
unanimité est réelle aujourd'hui en Tunisie. Tous les rapports produits
jusqu'aujourd'hui ne font que relater les conditions du sort réservé à une
minorité, les mêmes individus dont on cherche à modérer les propos aigris par
une insupportable condition d'oppression et d'arbitraire dans tous les domaines
de leur vie et qu'on ne peut empêcher de reconnaître la véracité des propos et
de relater les quelques détails rapportés au cours des quelques minutes
d'entretien dont peuvent se rappeler les plus chanceux qui ont pu avoir des
rendez-vous pour ces entretiens. Le peuple lui est égal à lui-même dans sa
réclusion dans le silence qu'on traduit avec beaucoup de propagande et de
manipulation en consentement.
Quand le
pouvoir se produit en ennemi de la liberté il n'y a que la terreur et la peur
qui peuvent dominer les comportements des gens. Par calcul, par opportunité ou
par simple lâcheté la peur est le véritable pouvoir par lequel notre pays
continue d'être gouverné. Il n'y a aucune différence entre un ministre dont les
véritables prérogatives sont réduites à un simple employé à l'écriture pour
parfaire les dispositions les plus abjectes de spoliation et d'arbitraire. Un
député désigné pour dire oui à ce qu'on lui demande de voter ou un bureaucrate
zélé dans sa mission de laquais au service de ceux qui l'ont nommé dans sa
fonction. Tout comme un directeur de journal qui ne fait que javelliser les
textes de ses subordonnés pour produire une image et une impression d'hypocrisie
et de vanité dans l'éloge aux corrompus et aux tyrans de tout niveaux. Comment
en vouloir à un banquier qui sait qu'il ne doit sa fonction qu'à sa soumission
aux escrocs qui ne vont jamais restituer les crédits ou le chef d'entreprise
publique ou privée qui ne doit la survie de son projet qu'à son consentement au
racket exerçé sur lui et qu'il paye volontiers et sans brancher quand on sait
que tout peut devenir objet de chantage et servir en moyen de persécution. Face
à cette déchirante et humiliante contradiction que subit tous ces puissants le
simple citoyen n'est plus aujourd'hui que le paillasson sur lequel on essuie les
pieds avant d'entrer.
Nous sommes
accablés de subir ce qu'on méritait. La vie sous la tyrannie détruit tout ce
qu'il y a de pur, de vrai et de bon dans l'essence de notre humanité. En
cherchant chacun à se résoudre sur son propre sort au dépend et essentiellement
au détriment de son voisin le cycle de l'humiliation continue à nous enfoncer
plus profond encore dans la perte de nos valeurs. En cherchant chacun à se
sauver individuellement de la calamité de la situation et en tombant devant la
faiblesse en profitant égoïstement de la situation, notre société est gangrenée
par le mal qui se propage dans son corps détruisant tout espoir de
rétablissement ou d'une vie meilleure.
Cette
colonisation intérieure nous humilie au plus profond degré qu'on a besoin de ces
occidentaux pour venir de temps en temps s'apitoyer sur notre sort alors que
leurs gouvernements continuent de soutenir et de vanter les succès de nos
oppresseurs tout en nous chantant la rengaine des réformes et de la nécessité de
la démocratie dans nos pays. Quand nous observons cette intime complicité avec
nos dictateurs que font sous couvert de diplomatie les dirigeants des plus
grandes démocraties nous ne pouvons que donner raison à la majorité de nos
concitoyens d'être suspicieux sur leurs véritables intentions.
Mokhtar Yahyaoui
mercredi 23 février 2005