LETTRE OUVERTE A L’OCCASION DU CONSEIL UE-TUNISIE 31 JANVIER
2005 http://www.fidh.org/article.php3?id_article=2191
vendredi 28 janvier 2005
A l’attention : Des ministres des
Affaires étrangères des Etats Membres de l’Union européenne Du Haut
Représentant de l’Union européenne pour la PESC, M. Javier Solana De
la Commissaire aux relations extérieures, Mme Benita Ferrero-Waldner
Paris, Genève, Copenhague, le 27 janvier 2005
Madame la Ministre, Monsieur le Ministre,
Monsieur le Haut Représentant, Madame la Commissaire,
A l’occasion du prochain Conseil d’Association
Union européenne (UE)-Tunisie qui aura lieu le 31 janvier 2005, la
Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH),
l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et le Réseau
euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH) souhaitent vous faire
part de leurs vives inquiétudes quant à la situation des droits de l’Homme
en Tunisie.
La FIDH, l’OMCT et le REMDH rappellent que
l’article 2 de l’accord d’association UE-Tunisie, entré en vigueur le 1er
mars 1998, dispose formellement que les relations entre les parties ainsi
que l’ensemble des dispositions de l’accord lui-même sont fondées sur le
respect des droits de l’Homme et des principes démocratiques. L’importance
de cette clause a été réitérée par la Commission dans sa communication du
8 mai 2001 consacrée au rôle de l’UE dans la promotion des droits de
l’Homme et de la démocratisation dans les pays tiers ainsi que par les
conclusions du Conseil Affaires Générales du 25 juin 2001.
De plus, la FIDH, l’OMCT et le REMDH
rappellent les différentes recommandations émises par la Commission
européenne dans sa communication, approuvée par le Conseil, du 21 mai
2003, « Donner une nouvelle impulsion aux actions menées par l’UE
dans le domaine des droits de l’Homme et de la démocratisation, en
coopération avec les partenaires méditerranéens »1. Plus
particulièrement, la FIDH, l’OMCT et le REMDH souhaitent attirer votre
attention sur la première de ces dix recommandations, selon laquelle
« l’Union doit veiller à l’inclusion systématique des questions liées
aux droits de l’Homme et à la démocratie dans tous les dialogues qui se
déroulent sur une base institutionnelle ». La FIDH, l’OMCT et le
REMDH rappellent également que selon le récent plan d’action UE-Tunisie,
négocié dans le cadre de la Politique Européenne de Voisinage2, il est
précisé qu’une attention particulière devrait être accordée au
renforcement du dialogue politique et de la coopération, notamment en
matière de démocratie et de droits de l’Homme.
Enfin, la FIDH, l’OMCT et le REMDH attirent
votre attention sur les engagements pris par l’UE dans les différentes
lignes directrices élaborées par le Conseil de l’UE dans le cadre de sa
politique en matière de droits de l’Homme, et plus particulièrement dans
les lignes directrices concernant la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants ainsi que les lignes
directrices pour la protection des défenseurs des droits de l’homme3.
Pour ces raisons, la FIDH, l’OMCT et le REMDH
vous demandent de soulever avec fermeté les éléments suivants auprès de
vos homologues tunisiens lors de votre prochaine rencontre du 31 janvier
2005 :
1. La liberté d’expression en Tunisie
Alors que la Tunisie s’apprête à être l’hôte
en novembre 2005 de la deuxième phase du Sommet mondial de la société de
l’information (SMSI), les atteintes à la liberté d’expression y sont
particulièrement préoccupantes.
Situation des media
L’uniformité de l’information tant écrite
qu’audiovisuelle est devenue une caractéristique de la presse tunisienne.
Les analyses et les informations publiées par différentes organisations
non gouvernementales sont bannies de la presse et des media officiels.
Officiellement, la publication d’un journal est soumise au principe de la
declaration préalable auprès du ministère de l’Intérieur. Toutefois, la
réalité est toute autre. En effet, l’administration détourne ce principe
et refuse à la très grande majorité des organes de presse indépendants ou
d’opposition de remettre le récépissé attestant du dépôt de la
déclaration. Ainsi, dans les faits, le principe de déclaration se retrouve
détourné de sa fonction et est transformé en un principe d’autorisation
déguisée.
De plus, depuis le 26 juin 2003, une nouvelle
disposition du code électoral interdit à tout Tunisien de s’exprimer sur
un média audiovisuel étranger en faveur ou à l’encontre d’un candidat aux
élections présidentielles, et ce durant la campagne électorale. Toute
infraction à cette « loi » est passible d’une amende de 20.000
€, ou à défaut de paiement, d’une peine non réductible de 2 ans de prison.
Par ailleurs, le journaliste M. Hamadi
Jebali, directeur de l’hebdomadaire Al Fajr, organe officieux du mouvement
islamiste Ennahda, est incarcéré depuis 1991. En 1992, il a été condamné
par la cour militaire de Tunis à seize ans de prison pour "agression dans
l’intention de changer la nature de l’Etat" et "appartenance à une
organisation illégale". Le journaliste Abdallah Zouari a quant à lui été
libéré récemment, mais il subit un contrôle administratif et un
harcèlement visant à l’empêcher de circuler librement.
Censure des moyens de communication modernes
Le président M. Ben Ali multiplie les
déclarations sur sa volonté de développer l’Internet en Tunisie.
Cependant, comme le souligne Reporters Sans Frontières, « avec moins
de 6 % de la population accédant à Internet, la Tunisie est encore très
loin des standards américains, asiatiques ou européens »4.
De plus, les autorités tunisiennes répriment
d’une main de fer la liberté d’expression, notamment sur Internet. Depuis
2002, le contrôle des moyens de communication, dont Internet, se renforce
et une véritable « police du cyberspace » a été mise en place.
Ses activités visent à traquer les sites « subversifs » pour
pouvoir en bloquer l’accès, à intercepter les requêtes vers certains sites
ou courriers à contenus « politiques ou critiques », à
rechercher le maximum d’adresses de « proxies », ces serveurs
relais qui permettent aux internautes d’accéder aux sites interdits en
contournant les systèmes de blocage, à pister et interpeller les
internautes trop actifs, les « cyber-dissidents ».
Des organisations nationales et
internationales de défense des droits de l’Homme affirment que les
autorités attaquent régulièrement les messageries électroniques de
certaines organisations de défense des droits de l’Homme à l’aide de virus
informatiques.
De plus, le pouvoir a fait adopter, le 10
décembre 2003, une loi anti-terroriste d’ « appui aux efforts
internationaux de lutte contre le terrorisme et le blanchiment
d’argent ». Cette loi porte atteinte aux droits essentiels du citoyen
et aux activités pacifiques de la société civile, des syndicats et des
partis politiques. Elle est en contradiction grave avec les principes
édictés par l’article 8 de la Constitution tunisienne, l’article 19 de la
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et les conventions
internationales ratifiées par l’Etat tunisien. Cette loi anti-terroriste
s’applique en particulier à l’utilisation d’Internet. Elle crée notamment
des procédures expéditives pour juger les terroristes présumés. Elle
stipule que sont soumis au régime de l’infraction terroriste « les
actes d’incitation à la haine ou au fanatisme racial ou religieux quels
qu’en soient les moyens utilisés » - Internet étant l’un de ces
moyens. Selon ce texte, il suffirait à un responsable de publication
d’être accusé de lien avec une organisation terroriste pour qu’il tombe
sous le coup de ces procédures judiciaires expéditives et encourt des
sanctions extrêmement lourdes.
Le 7 juillet 2004, de lourdes peines, allant
jusqu’à 13 ans de prison, ont été prononcées contre huit jeunes Tunisiens
originaires de la région de Zarzis, à l’issue d’un procès unanimement
qualifié par les ONG d’inéquitable. Ces jeunes Tunisiens étaient
principalement accusés d’avoir consulté et téléchargé des documents, jugés
dangereux par les autorités, dans le but présumé de préparer un attentat
contre le centre de sécurité maritime de Zarzis. Le jugement a été
confirmé en cassation le 8 décembre 2004. La FIDH, l’OMCT et le REMDH
dénoncent l’arbitraire de ce procès, qui n’a pas respecté les standards
internationaux en matière de procès équitable, et n’a pas assuré les
garanties élémentaires des droits de la défense. Outre le caractère bâclé
de l’enquête et du manque de preuves matérielles, il est avéré que les
victimes ont été soumises à des actes de tortures et de mauvais
traitements par les forces de l’ordre tunisiennes.
On constate également que certains sites
d’informations tunisiens ou journaux électroniques (Kalima, TUNeZINE,
Alternatives Citoyennes), mais aussi de partis, d’organisations non
gouvernementales ou de médias étrangers diffusant des informations
critiques contre le gouvernement, sont régulièrement bloqués en Tunisie.
Les messageries anonymes, de type « Hotmail », sont souvent
inaccessibles, aussi bien par les publinets que par des connexions
privées. Ces problèmes seraient générés intentionnellement afin d’inciter
les internautes à utiliser des comptes mails plus facilement contrôlables
par la cyberpolice.
Les médias dans la campagne présidentielle de
novembre 2004
Les élections présidentielles et législatives
du 24 octobre 2004, qui ont opposé M. Zine El Abidine Ben Ali, qui
briguait un quatrième mandat, à trois candidats de l’opposition, se sont
soldées par la victoire sans surprise, avec plus de 94% des voix, du
président sortant. Ces élections ont pourtant été entachées de nombreuses
irrégularités.
La couverture médiatique disproportionnée
entre les différents partis fut remarquable au cours de la campagne
présidentielle et a très largement favorisé le Président sortant. Tous les
médias, en particulier les médias audiovisuels observés (étatiques), ont
failli à leurs obligations minimales de couverture équilibrée et équitable
des partis et des candidats. En effet, il ressort d’un rapport
d’observation électorale de l’International Media Support (IMS), réalisé
en partenariat avec la LTDH, l’ATFD et le CNLT5, que durant la période
d’observation, le président M. Ben Ali, avec son parti le
Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD), a bénéficié d’un taux de
couverture de 77% du temps des médias audiovisuels et de 92% de la surface
de la presse écrite quotidienne. Ce rapport tire donc comme conclusions
que, durant la période électorale, les médias n’ont pas, entre autres,
respecté deux droits élémentaires : celui des électeurs d’être
informés sur les choix politiques et les sujets d’intérêt public, et celui
des candidats de transmettre leurs messages6.
Un Sommet mondial de la société de
l’information (SMSI) sous haute surveillance
La FIDH, l’OMCT et le REMDH rappellent les
tentatives d’obstruction des travaux des ONG réunies en plénière lors de
la première conférence préparatoire (PrepCom1) de la seconde phase du
SMSI, qui a eu lieu à Hammamet (Tunisie) du 24 au 26 juin 2004. En effet,
un nombre important de personnes, se présentant comme « la société
civile tunisienne », a gravement perturbé les travaux de cette
conférence. Ainsi, des pratiques systématiques de désinformation, un
remplissage de la salle par des gens amenés sur place par bus entiers, de
violentes agressions verbales envers les participants, des entraves à leur
simple expression en faisant régner le chaos dans la salle, ont été
utilisés afin de tenter d’empêcher à la fois qu’une représentante de la
LTDH s’exprime au nom des organisations de la société civile présentes et
que le texte produit par le comité de rédaction mandaté par la plénière de
la société civile soit conservé. Nos organisations regrettent en
particulier que les organisations de la société civile n’aient pas pu, du
fait de cette situation, discuter dans des conditions normales de
l’ensemble des thèmes qui font l’objet de la seconde phase du SMSI, en
premier lieu ceux relatifs à la gouvernance d’Internet et au financement
des infrastructures7.
En outre, la FIDH, l’OMCT et le REMDH
déplorent le maintien du général Habib Ammar comme président du comité
préparatoire de la deuxième phase du SMSI. Pour rappel, ce militaire,
ancien ministre de l’Intérieur, contre lequel l’OMCT et TRIAL (Track
Impunity Always) ont déposé en septembre 2003 une plainte pour actes de
torture, présente un risque significatif de perturber le bon déroulement
de ce Sommet8.
La FIDH, l’OMCT et le REMDH demandent donc aux
autorités tunisiennes de libérer l’ensemble des journalistes et
« cyberdissidents » maintenus en détention et de cesser toute
pression à leur égard. Nos organisations demandent également que les
autorités tunisiennes lèvent les interdictions de fait imposées aux
publications des organes de presse indépendants ou d’opposition.
La FIDH, l’OMCT et le REMDH demandent
également à l’UE d’inviter les autorités tunisiennes à mettre en oeuvre
les recommandations du rapporteur des Nations unies sur la liberté
d’expression qui s’était rendu en Tunisie en février 2000.
Enfin, la FIDH, l’OMCT et le REMDH engagent
les autorités tunisiennes, avec l’ensemble des organisateurs du Sommet, à
faire en sorte que l’organisation des travaux se déroule à l’avenir dans
le calme et le respect mutuel. Alors que le SMSI se prétend exemplaire
d’une ouverture des travaux des Nations unies à une meilleure
participation de la société civile, allant même jusqu’à reconnaître un
« bureau de la société civile », nos organisations attendent des
autorités du pays d’accueil qu’elles traduisent localement ce discours en
mesures concrètes.
2. La liberté d’opinion et d’association en
Tunisie
La FIDH, l’OMCT et le REMDH accueillent
favorablement la libération en novembre 2004 de plusieurs détenus
d’opinion en Tunisie, membres du mouvement Ennahdha (mouvement islamiste
non reconnu), et la libération de plusieurs personnes condamnées à des
peines entre 15 et 17 ans de prison, dont MM. Ali Laraidh et Ziad
Doulati.
Cependant, la FIDH, l’OMCT et le REMDH
rappellent que plus de 500 prisonniers politiques sont encore aujourd’hui
détenus dans les prisons tunisiennes. Les prisonniers tunisiens, et
notamment les prisonniers d’opinion, sont encore victimes de traitements
inhumains et dégradants et sont souvent privés des soins vitaux que
requiert leur état de santé. Une vingtaine de détenus politiques sont
ainsi maintenus à l’isolement total, dont certains depuis plus de 14 ans,
en violation flagrante de la Convention internationale contre la torture
et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants de 1984 à
laquelle la Tunisie est partie.
De plus, la FIDH, l’OMCT et le REMDH
regrettent le manque de transparence quant aux libérations de ces
opposants et demandent aux autorités tunisiennes de publier la liste
complète des personnes libérées. La FIDH, l’OMCT et le REMDH dénoncent
également les harcèlements continus dont font l’objet les anciens
prisonniers d’opinion tel que, par exemple, l’obligation de se présenter
régulièrement, parfois plusieurs fois par jour, au poste de police. De
plus, ces derniers se voient interdire l’exercice de toute activité
professionnelle dans l’administration publique et sont souvent privés de
passeport. Ces harcèlements concernent plus d’un millier de personnes.
Par ailleurs, des militants politiques font
l’objet de harcèlements et d’agressions comme ce fut le cas pour
M. Hamma Hammami, porte parole du Parti communiste ouvrier de Tunisie
(PCOT), agressé le 11 octobre 2004, et de M. Moncef Marzouki,
président du Congrès pour la République, qui a été bloqué le 14 octobre à
l’aéroport de Tunis et a fait l’objet d’un procès verbal.
La liberté de fonder des partis et celle de
créer des associations reste entravée. Une dizaine d’associations dont
certaines, comme le Conseil national des libertés en Tunisie (CNLT),
l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques
(AISPP), l’Association de lutte contre la torture (ALTT), le Centre
tunisien pour l’indépendance de la justice et des avocats (CIJA), le
Rassemblement pour une alternative internationale de développement
(RAID-Attac Tunisie), la Ligue des écrivains tunisiens libres (LEL),
l’Observatoire pour la défense des libertés de la presse, de l’édition et
de la création (OLPEC), ne sont toujours pas reconnues et leur activité
demeure interdite.
Le 3 janvier 2004, l’AISPP s’est vue interdire
la tenue de son assemblée générale par un impressionnant déploiement
policier. Et le 22 juin 2004, l’AISSP a été notifiée du refus de sa
reconnaissance légale par les autorités sans explication, en contradiction
avec l’article 5 de la loi 154 de 1959 relative aux associations qui
prévoit que la décision de refus de constitution doit être motivée. Le 26
juin 2004, l’Assemblée générale de Raid-Attac Tunisie a été interdite par
les forces de l’ordre. De même, le 11 décembre 2004, les membres du CNLT
ont été empêchés de se réunir au siège de leur organisation par un
dispositif de près de 150 policiers. A cette occasion, M. Mongi Ben
Salah, syndicaliste et vice président de la section Monastir de la LTDH, a
été traîné sur plusieurs dizaines de mètres, insulté et roué de coups au
visage et au ventre. MM. Lofti Hidouri et Nourredine Ben Ticha,
trésoriers du comité de liaison du CNLT, ont été violemment frappés.
Mme Sihem Bensedrine et M. Ahmed Kilani, membres du CNLT, ont
été bousculés, alors qu’ils tentaient de s’interposer. De plus, les
victimes de ces agressions ont été harcelées par les policiers jusqu’à
l’intérieur des centres médicaux où ils ont été soignés.
La FIDH, l’OMCT et le REMDH appellent donc les
autorités tunisiennes à libérer toutes les personnes emprisonnées
uniquement pour avoir exercé de manière non violente leur droit à la
liberté d’expression, d’association ou de réunion.
La FIDH, l’OMCT et le REMDH demandent aussi
aux autorités tunisiennes d’engager des réformes concernant les cadres
juridiques et administratifs relatifs au statut des ONGs et de mettre fin
à toutes les entraves légales et administratives au droit à la liberté
d’association et de rassemblement, pour l’ensemble de la société civile
tunisienne.
La FIDH, l’OMCT et le REMDH demandent
également à l’UE, en vertu des lignes directrices de l’UE contre la
torture ainsi qu’en vertu de la Convention contre la Torture des Nations
unies, de prier les autorités tunisiennes d’instaurer des mesures
efficaces de prévention contre l’usage de la torture et d’autres
traitements inhumains et dégradants à l’encontre de personnes détenues par
la police ou en prison. A ce sujet, nos organisations demandent aux
autorités tunisiennes de mettre en place un mécanisme crédible et
transparent afin que soient menées des enquêtes sur les abus et ce afin de
garantir que les auteurs de violations des droits de l’Homme soient
identifiés et traduits en justice.
Enfin, la FIDH, l’OMCT et le REMDH demandent
également à l’UE d’exhorter les autorités tunisiennes à répondre
favorablement à la demande d’invitation du Rapporteur Spécial de l’ONU sur
la torture et autres traitements inhumains et dégradants afin qu’il puisse
se rendre en Tunisie.
3. Les atteintes aux droits des défenseurs des
droits de l’Homme
L’accès au territoire tunisien pour les ONG
internationales de défense des droits de l’Homme est étroitement contrôlé.
Ainsi, alors qu’il se rendait à Tunis pour assister à une conférence de
presse prévue le 14 avril 2004, M. Patrick Baudouin, avocat au
Barreau de Paris et Président d’honneur de la FIDH, a été refoulé lors de
son arrivée à l’aéroport de Tunis-Carthage sans qu’aucun motif ne lui soit
notifié.
Les défenseurs des droits de l’Homme
tunisiens, les avocats, magistrats et leurs familles font l’objet de
harcèlement et d’une répression toujours croissante. Les agressions
physiques se sont multipliées ces derniers temps. En ont ainsi été
victimes, Mme Sihem Ben Sédrine, écrivain, journaliste et porte
parole du CNLT de 2001 à 2003, agressée en pleine rue le 5 janvier 2004,
et M. Ayachi Hamami, avocat, qui a vu son cabinet saccagé. Le 28
novembre 2004, plusieurs militants ont été agressés alors qu’ils se
rendaient à une réunion de la section de la LTDH à Kairouan (centre du
pays), ville qui avait été alors soumise à un véritable état de siège.
Enfin, M. Raouf Ayadi, avocat, membre et ancien secrétaire général du
CNLT, a reçu, le 18 janvier 2005, un appel anonyme le menaçant de mort
s’il ne se dessaisissait pas de l’affaire du Forum démocratique pour le
travail et les libertés (FDLT, parti d’opposition), dans laquelle il
défend M. Mustapha Ben Jaafar, secrétaire général du FDTL. En outre,
début janvier, M. Ayadi a été informé, par courrier, de la
résiliation sans préavis du contrat de location de son cabinet, sans que
le motif de cette décision ne lui soit communiqué. A ce jour,
M. Ayadi est toujours menacé d’expulsion.
Par ailleurs, certains défenseurs des droits
de l’Homme comme M. Taoufik Ben Brik, Mme Sihem Ben Sédrine et
M. Khemais Ksila, font l’objet de poursuites judiciaires. De plus,
leurs familles ainsi que celles de Mme Radhia Nasraoui, présidente de
l’ALTT, font l’objet de harcèlements fréquents allant de l’intimidation au
chantage et aux entraves à la liberté d’expression et de circulation.
La FIDH, l’OMCT et le REMDH sont, par
ailleurs, préoccupées par l’incarcération de MM. Najib et Jalel
Zoghlami, frères de M. Taoufik Ben Brik, membre fondateur du CNLT,
tous deux condamnés en appel, le 22 décembre 2004 à six mois de prison
ferme pour 11 chefs d’inculpation de droit commun, à la suite d’un procès
entaché d’arbitraire et révélant le manque d’indépendance du pouvoir
judiciaire d’après un rapport du Comité pour le respect des libertés et
des droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT). Leurs conditions de détention
et leur état de santé sont également sources d’inquiétudes. L’épouse de
Jalel Zoghlami, Ahlem Belhaj, Présidente de l’Association tunisienne des
femmes démocrates (ATFD), a aussi subi des mesures de rétorsion nuisant à
l’évolution de sa carrière. Cette affaire illustre l’acharnement contre la
famille de M. Taoufik Ben Brik, un journaliste qui a entamé une
action très médiatisée en 2002 et qui est lui-même l’objet d’une
instruction en cours.
La liberté de circulation des défenseurs est
encore largement entravée. Certains sont empêchés de quitter le
territoire, d’autres, comme M. Kamel Jendoubi, président du CRLDHT et
Président du REMDH, se sont vus refuser le renouvellement de leur
passeport.
D’autre part, l’UE, dans le cadre de
l’Initiative européenne pour la démocratie et les droits de l’Homme
(IEDDH), a décidé de financer la restructuration ainsi que la
modernisation des moyens d’action de la LTDH. Or, le gouvernement tunisien
bloque depuis le mois d’août 2003 la deuxième partie de ce financement ce
qui réduit considérablement les activités de la LTDH. Un second
financement plus important portant sur l’accès à la justice a été
également bloqué.
La FIDH, l’OMCT et le REMDH expriment leur
inquiétude quant à ces actes de harcèlement et ces violations des droits
des défenseurs des droits de l’Homme, et demandent à l’UE, en vertu de
l’article 2 de l’accord d’association, des lignes directrices de l’UE sur
la protection des défenseurs des droits de l’Homme, et de la Déclaration
sur les défenseurs des droits de l’Homme des Nations unies, adoptée par
l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998, de prier
instamment le gouvernement tunisien de respecter ses engagements
internationaux en matière de droits de l’Homme et notamment de mettre fin
à toute forme de harcèlement à l’encontre des défenseurs des droits de
l’Homme et de leur famille et de lever toutes les formes d’entraves à la
liberté de travail, de circulation et de rassemblement, et ce pour toutes
les organisations indépendantes de défense des droits de l’Homme.
Plus particulièrement, nos organisations
demandent aux autorités tunisiennes de veiller au respect des dispositions
de l’article 1 de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme,
qui dispose que « chacun a le droit, individuellement ou en
association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation
des droits de l’Homme et des libertés fondamentales aux niveaux national
et international » et son article 5a qui dispose qu’ « afin de
promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés
fondamentales, chacun a le droit, individuellement ou en association avec
d’autres, aux niveaux national et international (...) de se réunir et de
se rassembler pacifiquement ». De même, nos associations demandent
aux autorités tunisiennes de mettre fin au blocage des fonds accordés par
la Commission européenne aux ONGs dans le cadre de l’Initiative européenne
pour la démocratie et les droits de l’Homme (IEDDH).
La FIDH, l’OMCT et le REMDH demandent
également à l’UE d’exhorter les autorités tunisiennes à répondre
favorablement à la demande d’invitation du Représentant Spécial du
Secrétaire Général de l’ONU sur la situation des défenseurs des droits de
l’Homme afin qu’elle puisse se rendre en Tunisie.
4. Le plan d’action UE-Tunisie dans le cadre
de la Politique Européenne de Voisinage
La FIDH, l’OMCT et le REMDH accueillent
favorablement les éléments concernant la démocratisation et les droits de
l’Homme du plan d’action UE-Tunisie et plus particulièrement de son
chapitre 2.1. détaillant les actions à entreprendre en terme de dialogue
politique et de réformes.
Toutefois, la FIDH, l’OMCT et le REMDH
rappellent que, « sur le plan de la politique extérieure de l’UE,
l’article 11 du TUE établit que les efforts visant au développement et au
renforcement de la démocratie et de l’état de droit, ainsi qu’au respect
des droits de l’Homme et des libertés fondamentales figurent au nombre des
objectifs de la politique étrangère et de sécurité commune de l’UE. De
plus, l’article 177 du traité instituant la communauté européenne exige
que la politique de la Communauté dans le domaine de la coopération au
développement contribue également à la réalisation de ces
objectifs »9. De ce fait, nos organisations insistent sur
l’importance que l’UE respecte ses obligations et veille à ce que
l’ensemble de sa politique menée avec la Tunisie, soit menée dans le
strict respect des droits de l’Homme et du droit international, et ce dans
tous les domaines repris par le plan d’action.
Dans ce cadre, la FIDH, l’OMCT et le REMDH
demandent :
La mise en oeuvre immédiate de ce plan d’action et la
consultation et implication de la société civile, y compris des
organisations non reconnues, dans les différents étapes de cette mise en
oeuvre.
La création et réunion rapide et régulière du
sous-comité sur les droits de l’Homme, tel que prévu dans le plan
d’action. A ce sujet, nos organisations demandent à l’UE de s’assurer que
la société civile indépendante, reconnue et non reconnue, puisse avoir
accès aux travaux de ce sous-comité et y être activement impliquée afin
d’en alimenter les discussions et de permettre un meilleur monitoring de
la mise en oeuvre du plan d’action.
Dans l’espoir que la présente lettre retiendra
toute votre attention, nous vous prions d’agréer, Madame, Monsieur,
l’expression de notre considération distinguée.
Sidiki Kaba Président de la FIDH
Eric Sottas Directeur de l’OMCT
Kamel Jendoubi Président du REMDH
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