Plitique , Etat de droit et democratie en Tunisiie

Monde arabe, démocratisation ou disparition



Après avoir bloqué, sapé et avorté, un demi-siècle durant, toute évolution normale et naturelle de leurs peuples, les régimes arabes sont en train de quémander un sursis de la Maison-Blanche pour penser et préparer le changement et le passage supposé à la démocratie.

Leur impertinence, plus qu'étonnant, est légendaire : d'où trouvent-ils assez de face pour prétendre veiller et défendre les intérêts de leurs peuples après les avoir, par les plus sauvages et barbares des moyens, séquestrés, agenouillés et avoir étouffé chez eux toute velléité d'épanouissement tout en passant par les plus basses techniques corruptives pour faire taire, embrigader et s'offrir les services d'une frange de l'intelligentsia sans principe et à conscience vendable, sous la commande et au pied du plus offrant.

 Avant de sortir sous forme d'exigences occidentales, ces réformes n'ont jamais, en fait, cessé d'être revendiquées populairement de l'intérieur. Voilà la réalité que les uns et les autres tentent de cacher tout en entachant et laissant paraître cette aspiration populaire légitime sous forme d'un écho favorable à une flagrante ingérence américaine. Avec leurs peuples, ils parlent de nationalisme, d'honneur, de dignité, de refus et de résistance à toute intervention et à toutes les exigences dictées de l'extérieur. C'est pourquoi le moment, selon eux, n'est pas du tout idéal et propice pour amorcer le processus des réformes. Les menaces guettent la nation : le temps est à la mobilisation générale et toute critique à leur conception, gestion et pratique du pouvoir ne pourrait provenir que des traîtres et des suppôts des forces ennemies, particulièrement américano-israéliennes !

 Tandis qu'avec les Américains et les Européens, ils évoquent leur lutte acharnée contre la menace islamiste intégriste, dangereusement populaire et extrêmement hostile aux Occidentaux et à leurs intérêts qu'ils sont (eux les héros de la dernière heure, défenseurs du monde civilisé !) en train d'extirper sans ménagement d'efforts et de moyens. C'est pourquoi, il s'agit de l'intérêt même des Etats-Unis - ô combien ils sont savants en ce domaine ! - de patienter, de les laisser faire et de ne surtout pas penser, pour l'instant, à les forcer à introduire la moindre forme de démocratisation dans leur régime ! C'est un cirque d'hypocrisie, de lâcheté et de bassesse que ces équilibristes et clowns ont dressé au cœur même de la scène politique mondiale.

 La spécificité ou la particularité culturelle du monde arabo-musulman est un autre argument ridicule, inventé à la hâte, pour faire perdurer le statu quo. Que sommes-nous, nous Arabes et musulmans, sinon des êtres humains, pour ne pas mériter de vivre sous bonne gouvernance et jouir, nous aussi, d'un pouvoir de contrôle et de sélection de nos responsables et dirigeants ? N'a-t-on pas besoin, dans cette géographie déchiquetée, à l'instar de toutes les communautés de la terre, de démocratie et de contribution effective à gérer nos affaires et décider de notre destin ? N'a-t-on pas le droit de puiser dans l'expérience, l'héritage et le patrimoine humains et universels pour peaufiner et perfectionner nos méthodes ?

 Notre culture, aussi spécifique qu'elle soit, nous ôte-t-elle une autre spécificité, plus capitale et primordiale, qui est celle d'être des humains et d'appartenir, entièrement, à l'ordre homo sapiens ? Nos dirigeants en avançant cet argument de cette présumée spécificité semblent dire :

- premièrement, aux Américains : « Nous dirigeons des peuples de barbares, vous n'avez pas idée de notre histoire politique sanglante. De démocratie, il ne serait pas sage et conseillé de leur en parler. Prend-on l'avis d'un chien enragé ? A-t-il des droits ? Laissez-nous messieurs, avant tout, dompter, vacciner et civiliser des sauvages ! »

- Deuxièmement, s'adressant à nous, leurs peuples : « Voilà le colonialisme qui revient ! Que faire de leur démocratie athée, communiste et sioniste ? Nous avons la nôtre, qui s'adapte bien à notre religion et à nos traditions. Ce qu'ils veulent, c'est notre pétrole, ce sont nos terres et notre Islam. Attention, ne les écoutez surtout pas ! Vous voyez ce qu'ils font, ces croisés, en Palestine, en Irak et là où il y a Islam et musulmans ! »

Comme si nos déboires en Irak et en Palestine ne sont pas dus essentiellement à leurs lâcheté et mesquins calculs ! Comme si nos défaites et désillusions en matière de progrès et de développement ne sont pas causées par leurs incompétence et médiocrité ! Comme si ce pétrole est vraiment, en fin de compte, propriété nationale et sa rente dépensée pour le bien-être du peuple. Cette duplicité criante n'est ignorée par personne.

Dans un élan d'effronterie et de mépris envers leurs peuples, ils s'adonnent à ce jeu scandaleux à découvert, à voix haute, en pleines ondes et chaînes satellitaires; ils se fichent de l'opinion publique. En véritables bourreaux, ils paraissent si sûrs de la solidité des chaînes et des attaches de leurs victimes pour se permettre de les narguer et de les humilier publiquement sans jamais craindre leur réaction. Le comble, c'est que cette conduite insolite et insolente est devenue une pratique quotidienne, routinière. Rien de plus normal, ils ne rendent même pas compte de sa gravité.

L'autre subterfuge qu'ils ne cessent d'user, c'est la demande de délais pour pouvoir instaurer des régimes démocratiques. Notez bien, depuis des années, on entend les dirigeants arabes chanter et insister sur la question de temps, nécessaire d'ailleurs pour toute entreprise, sans pour autant se lancer dans la besogne. Les uns temporisent ; les autres, autodéifiés, il leur faut, manifestement, toute une éternité pour pouvoir accepter que l'un de leurs sujets puisse un jour penser à lever le front et les regarder en face, yeux dans les yeux, sans qu'il soit banni et poursuivi pour lèse-majesté.

S'ils demandent du temps, c'est pour diluer les revendications, apaiser les pressions, négocier avec leurs amis américains à huis clos, trouver les moyens de les dissuader, voir et recenser ce qu'il leur reste à offrir en cadeaux et en concessions.

Quelques régimes trouvent dans le problème palestinien (pauvres Palestiniens !) une contrainte les empêchant d'entamer un quelconque programme de démocratisation. S'il n'y a pas de démocratie, c'est de la faute d'Israël ! « Aucune voix n'est autorisée à s'élever plus que et au-dessus de celle de la guerre » (et quelle guerre !).

C'est leur vieux et corrodé slogan alors que leurs armées ne font depuis plus de trente ans que s'engraisser dans l'ombre et s'occuper presque exclusivement de la sécurité des palais. Il n'y a pas plus dangereux que le peuple, il faut être vigilant, le surveiller, le soumettre et réprimer tout remuement en sa phase embryonnaire.

N'a-t-on pas entendu, en ce mi-mai dernier, le monarque jordanien et le ministre des Affaires étrangères saoudien soutenir, avec un sérieux grotesque, que le processus des réformes doit marcher côte à côte, parallèlement avec l'agenda des retraits des forces israéliennes et américaines de tous les territoires arabes occupés en Palestine, en Syrie, au Liban et en Irak ! Ne trouve-t-on pas en ces propos une sorte de chantage déplacé, direct et même pas dissimulé ! Sommes-nous devenus des otages, dans nos patries, de nos chers et bien-aimés dirigeants ! Ils paraissent dire à Bush et à Sharon : « Retirez-vous des terres arabes, sinon aucune forme de démocratie ne verra le jour dans nos pays. On sera obligés de continuer à écraser nos peuples et à les spolier davantage. Tout est de votre faute ! »

Quelle intelligence, ils n'arrivent même pas à développer une argumentation d'adulte ! C'est à cause de leur idiotie inégalable si les Américains ont réussi à prendre, dans ce bras de fer, l'image du bon libérateur et eux celle du rétrograde et machiavélique geôlier.

Le monde arabe est devenu une grande prison selon l'avis de l'ex-président libanais Amine Gemayel, voire un véritable royaume des enfers, habité par des citoyens fantômes gardés par de sortes de cerbères, chiens mythiques à trois têtes et à queue de dragon.

Pour esquiver les pressions internationales et prolonger leur règne de quelques jours, les dirigeants arabes peuvent se transformer en penseurs et sociologues et jouer gauchement à la Tocqueville. Ils chantent les réformes pour saper les réformes, voilà le numéro où ils excellent parfaitement ! Maintenant, ils arguent que, pour être acceptable et viable, le changement devra jaillir de l'intérieur. Tout en étant résultat d'une décantation lente des aspirations, des expériences et des réalités du terrain. Les véritables réformes ne s'imposent pas (made in tel ou tel pays) et surtout elles ne se dictent pas de l'extérieur, ça bourgeonne des entrailles de la société après gestation et pénible travail de mise au monde.

Ils dissertent sur le sujet, insistent et réitèrent, usant un ton d'une gravité solennelle, eux qui ont plastiqué toutes aptitudes inventives et créatrices de la société et déraciné le moindre signe de fertilité et d'émancipation d'esprit. Donc, logiquement, selon leur raisonnement interverti, s'il n'y a pas réforme jusqu'à ce jour, c'est que la faute incombe fondamentalement à ce pauvre peuple stérile, débile, borné et incapable d'évoluer, d'imaginer et de proposer des solutions à ses propres problèmes. Avec un tout petit peu de diplomatie, ils diront, dans leur salon, peut-être : notre peuple est lent mais sûr, sa mutation par conséquent prend plus de temps, ne le bousculons surtout pas, la précipitation est, dans tous les cas, nuisible et mère de regrets. Nous sommes ici et allons faire tout le nécessaire pour favoriser ce passage, soyez confiants et patients !

Dans leurs véhémences et verbiages, ils s'agitent et lancent leurs prétextes, comme des postillons, dans tous les sens. C'est la panique : « Ça ne devrait, toute de même pas, provenir de l'extérieur ! Ça, ce n'est pas le moment idéal ! Ça ne devrait être discuté qu'après décolonisation des terres occupées ! Ça devrait prendre en considération les particularités culturelles ! Ça devrait ouvrir les portes de l'enfer pour toute l'humanité et constituer une menace pour la stabilité dans la région et pour les intérêts occidentaux ! Ça devrait prendre du temps ! En somme, ils ont des raisons n'ayant rien à avoir avec la raison. »

A Tunis, dernièrement, en ce moment crucial pour le monde arabo-musulman, ils n'ont fait que convaincre, encore une fois, leurs peuples, si besoin est, de la nécessité plus qu'urgente de les écarter le plus tôt possible. C'est l'unique façon, en tout cas, pour aspirer à une vie meilleure et moins humiliante. Il y a péril en la demeure.

Y a-t-il, dans le monde de nos jours, des pays dans lesquels les citoyens n'ont encore pas pu arracher le droit de vote hormis ces Etats tribus du Golfe ! En véritables machos, ils s'interposent et refusent de céder à la femme même le droit d'avoir un permis de conduire. Ne pouvant pas digérer apparemment qu'elle aille jusqu'à les dépasser sur la route ou craignant les aléas de la circulation qui pourraient les obliger, s'ils la croisent, à s'arrêter et lui céder passage selon le droit de priorité du code de la route qui ne distingue pas entre les sexes. Doit-on introduire au code de la route des clauses discriminatoires à l'encontre de la femme conductrice pour satisfaire leur virilité pathologique ? Doit-on attendre les Américains et leurs réformes pour changer notre opinion de la femme et l'accepter comme un être humain à citoyenneté à part entière ! Plus risible, ça n'existe pas !

S'il y a une question sur laquelle les pouvoirs arabes s'entendent parfaitement, c'est bien les modes de résistance au vent des réformes, ils s'investissent à fond dans ce combat. Le monde civilisé n'a jamais eu affaire à de pareils cas psychopathologiques. On ne sait jamais jusqu'où peut (ou plutôt va) nous mener ce genre machiavélisme idiot. Ils savent qu'en cas de démocratie, ils ne conserveront pas leur poste, il joue donc leur va-tout. Pour préserver leurs pouvoirs, ils puisent sans ménage dans les biens du Trésor public alors que la majorité des peuples arabes vit dans la disette la plus absolue, au-dessous du niveau de la pauvreté.

On a même vu le président égyptien en périple en Europe, délégué par ses pairs, dictateurs et imposteurs, pour plaider leur cause et expliquer leurs points de vue vis-à-vis du projet américain dit « Le Grand Moyen-Orient » et en essayant d'inciter les capitales de l'UE à intervenir auprès de l'Oncle Sam pour qu'il se ravise et les épargne eux et leurs régimes serviables et véritables garde-fous empêchant les islamistes d'arriver au pouvoir. Il a même déclaré sans ambrages : « Si démocratie il y a, croyez-moi ce sont vos venimeux ennemis qui accéderont au pouvoir. N'avez-vous pas tirer conclusion de ce qui s'est passé en Algérie ! Avec nous, au moins vous êtes sûrs de préserver vos intérêts. »

Il marchande et promet un train de réformes imminentes sans pour autant arrêter les dates ! Il n'a même pas l'intention de lever l'état d'urgence qui s'est éternisé en Egypte ! Evitant aussi de dire quand il compte quitter le pouvoir (est-il possible qu'il reste président suffisamment longtemps pour survivre et travailler, jusqu'à l'instant, avec quatre présidents américains successifs ! ) Cette Egypte, qu'il aime glorifier gauchement, est-elle à ce point impuissante pour mettre au monde quelqu'un pouvant le remplacer ! Toutes ces générations grouillantes, de guerre et d'après -guerre, ne renferment-elles pas en leur sein plus nationalistes et compétents que ce pharaon et son fils ?

Le petit Moubarek se prépare, il est déjà à la tête de la commission des politiques du parti de la majorité (en septembre il remplacera, sauf imprévu, le fidèle et homme lige Safouat Chérif, secrétaire général du parti et ex-ministre de la Communication promu par le raïs de son lit dans un hôpital allemand pour mener Madjles El Choura). Djamel Moubarek a réussi à placer un nombre important de ses hommes à la tête de portefeuilles ministériels de souveraineté dans le nouveau gouvernement. Il a un pied sur selle s'il n'est pas installé dessus confortablement. Son père a tiré manifestement leçon de l'embarras qui s'est produit au décès de Hafez Al Assad.

L'Egypte n'est pas l'unique, c'est une mode arabo-musulmane. La Libye, la Syrie, l'ex-Irak, le Yémen et l'Algérie sont de ces pays qui se prétendent républiques et dans lesquelles les fils du caïd, ses frères, ses beaux-frères, leurs amis et les amis de leurs amis, toute la famille, toute la tribu, tous les « fils » de la région se retrouvent promu en super citoyens leur permettant de se lancer dans ces campagnes de récolte des titres, des postes et des propriétés et de réclamer tapis rouge là où ils vont. Ils s'approprient le droit de vivre au-dessus des lois et de leurs concitoyens. Et gare à celui qui s'interpose !

Les Moubarak sont, il faut le dire, de véritables anges comparés aux Kadhafi. Le guide de la révolution a lâché ses rejetons afin de puiser directement dans le Trésor public.

A coups de milliards, ces fils à papa vivent selon leurs fantaisies. Sayf El Islam joue le gentleman international des travaux caritatifs, interférant partout dans le monde. On l'a vu payant d'énormes rançons dans le problème de prise d'otages occidentaux aux Philippines ; s'occupant des frais de libération d'une partie des prisonniers marocains chez les Sahraouis du Polisario ; aidant les femmes et les enfants nécessiteux délaissés après la chute des talibans en Afghanistan. Dernièrement, il a mené des pourparlers pour la régularisation des indemnisations financières des familles des victimes du Lockerbie.

Saâd, l'autre petit guide, s'adonne à des activités plus juvéniles, il s'amuse et jongle avec l'argent du peuple dans le Calcio, en acquérant des actions dans la Juventus, la plus prestigieuse des équipes du football italien et en s'achetant presque toute une équipe, de moindre importance, pour avoir, ne serait-ce qu'un seul match, l'honneur de figurer parmi la liste des remplaçants et occuper une place sur le banc. Même dans ce poste, ce joueur singulier a été contrôlé positif lors des tests de dopage ! L'abus des interventions du fils gâté du colonel dans le championnat libyen et l'équipe nationale a atteint des dimensions insensées. Pauvre Libye ! Malgré ses ressources, elle ne peut ni évoluer ni avoir une vie normale. De Lockerbie à l'affaire des armes de destruction massive, le colonel fait subir à son pays ce que des pires ennemis ne daignent projeter. Ses projets, découverts récemment, visant l'assassinat du prince héritier saoudien sont une autre grave affaire à suivre. Qu'est-ce qu'il va offrir cette fois-ci pour que les Américains acceptent de clore le dossier ?

Plus archaïque est sans doute la famille royale de l'Arabie Saoudite qui se permet, dans ce monde de démocratie et de liberté, de se targuer d'avoir laissé se constituer une squelettique association journalistique, dont tous les membres d'ailleurs sont fidèles aux fils de Abdelaziz, ou se vanter d'avoir accepté, finalement, d'offrir aux citoyens le soin d'élire leurs responsables locaux parmi des listes préparées par les princes.

Quand ils entendent parler de démocratie, ils évoquent, presque avec fierté, leur fameux Conseil de choura, dont tous les membres sont désignés par le roi et les princes. Quelle honte, ils sont fiers d'avoir été les seuls, parmi les régimes arabes, à penser à envoyer un groupe de leurs soi-disant parlementaires à Londres, dans une des plus grandes campagnes médiatiques, pour étudier les mécanismes de fonctionnement du doyen des Parlements du monde alors que les citoyens saoudiens ne savent même pas, et jusqu'au jour d'aujourd'hui, ce que signifient vraiment libres élections, référendum, suffrages, scrutins, urnes et isoloirs.

Peut-on duper l'opinion publique par ces mascarades qui ne traduisent que la péremption et l'archaïsme du système ? Fallait-il attendre une intervention américaine ou patienter des siècles entiers pour que la famille royale ait confiance en ces Saoudiens et leur permettre de jouir effectivement du statut de citoyen ? A aucun niveau, il ne leur est permis d'exprimer leur avis.

C'est une grande erreur que de croire que le problème de la démocratie est une affaire qui se résout avec les Américains. Louer les services des plus prestigieuses agences de communications américaines pour reluire l'image du régime, voilà le premier souci des maîtres de Riyad qui donne une idée sur leur manière de penser et leur mépris incommensurable vis-à-vis de leurs sujets.

Traiter l'image et l'embellir peuvent tromper les Occidentaux et gagner leur sympathie, mais jamais on ne peut convaincre un affamé et lui faire croire que s'il a mal au ventre, c'est parce qu'il a trop mangé. L'Arabie Saoudite ne peut résoudre ses problèmes internes par les paroles intelligentes et bien choisies du jeune conseiller de l'héritier du trône, Adel El Djoubaïr, aussi élégant, éloquent, compétent et english (ou américain) qu'il soit !

Les concessions sur le plan de l'OPEP ou la contribution dans la lutte antiterroriste (par l'établissement surtout d'un contrôle rigoureux de l'ensemble des activités caritatives des citoyens saoudiens) pourraient contenter la Maison-Blanche mais jamais apaiser la révolte de cette jeunesse saoudienne branchée et engagée si elle n'est pas enrôlée déjà dans des réseaux intégristes.

Ces princes semblent prêts à employer et à exploiter même ce terrorisme sanguinaire pour arracher la bénédiction de l'Administration Bush et envoyer les réformes aux calendes grecques. C'est une politique qui ne peut annoncer pour le royaume qu'un lendemain plein de désastres et de catastrophes.

En fait, les pouvoirs politiques arabes ne laissent aucune alternative pacifique à l'opposition. Aucune marge ne lui est laissée pour les concurrencer et proposer une autre vision de gestion des affaires de l'Etat. Acculée au mur, elle est obligée de recourir à d'autres méthodes moins conventionnelles.

A voir le président mauritanien ordonnant d'arrêter son principal rival en pleine élection présidentielle craignant la défaite et ne pouvant même pas supporter l'ombre d'un risque de perdre son poste, on peut avoir facilement une idée très claire sur l'avenir explosif des Mauritaniens.

Peut-on se leurrer et attendre des réformes de ce jeune monarque marocain, lui qui tient fermement aux plus abaissantes des traditions et rites et qui force ses sujets à se prosterner et à se précipiter gauchement pour lui baiser la main.

L'émir du Qatar n'a pas, lui aussi, assez de présence d'esprit même s'il se veut, après avoir détrôné son père, libéral et moderniste. Il se permet de se qualifier d'avant-gardiste, simplement parce qu'il a été derrière le lancement de la chaîne d'El Djazira TV. Quel respect prétend-il porter à son peuple, unique source supposée de souveraineté, s'il se permet de promulguer un aussi important texte législatif que la Constitution sans même penser à passer par la voie d'une consultation populaire ?

Sens de la démesure

Cet émirat, qui ne compte que quelque 800 000 citoyens, est porté dans les nuées par un sens de la démesure et de la gabegie. Par caprice, le prince héritier a donné des instructions pour construire le plus grand centre académique sportif dans le monde, ce que n'osent faire les pays les plus grands et de traditions sportives reconnues, comme la Chine, la Russie ou l'USA qui recensent plus de cinquante millions de sportifs inscrits.

Le royaume du Bahreïn n'a pas lésiné en ce domaine du m'as-tu-vu en inaugurant à coups de milliards, son célèbre circuit de Formule 1. C'est une course folle de gaspillage et de dilapidation de l'argent public en des chapitres pour le moins saugrenus et fantaisistes et allant des terrains de golf, aux courts de tennis, aux hôtels de super luxe, etc.

Le prince Jaber Al Ahmed Al Sabbah, le cheikh Zayed et le roi Fahd, depuis des années, n'apparaissent que rarement en public. Et pourtant, leur sagesse sera, sans aucun doute, regrettée vu la conduite peu reluisante et plus que préoccupante de leur progéniture héritière. Elle semble plus versée et habile pour découvrir et dénicher de nouveaux éventails de dissipation plus massive et ingénieuse de biens des peuples.

Après avoir régné une cinquantaine d'années grâce à la légalité révolutionnaire pour les uns et religieuse pour les autres, les pouvoirs arabes se sont convertis et ils se précipitent, maintenant, pour se rencontrer sous le parapluie d'une autre légalité plus solide, à leurs yeux, parce que portant les couleurs de la bénédiction de la Maison-Blanche. Tous cherchent à plaire aux Américains. Les contenter et les satisfaire sont devenus, par excellence, l'objectif numéro un qui devance, de loin, tous les autres soucis de développement économique et de gestion des crises politiques.

 Ceux qui ont refusé d'assister au G8 ne sont pas en fait plus affranchis dans leurs actions que ceux qui ont répondu favorablement aux convocations de Bush (car on ne peut, tout de même, parler d'invitation !). Sur leur table, les grands du monde ont besoin, pour entretenir les sentiments de supériorité que leur procurent leurs dimensions, de petits exemplaires et assez disposés à écouter attentivement, jusqu'à la fin, leurs recommandations et remontrances.

 Bush veut montrer à ses électeurs qu'il sait ce qu'il fait, qu'il maîtrise la situation et que sa politique apporte, tôt ou tard, ses fruits. Un empire n'a pas d'ami, il n'a que des vassaux, selon l'avis d'Ignacio Ramonet du monde diplomatique. Le Yémen, l'Algérie, la Jordanie et le Bahreïn ont joué le rôle d'imbécile à morigéner. En réalité, les dirigeants de ces pays ne sont pas loin, c'est leur naturel même qu'ils ont interprété. Ils ne l'ont jamais chassé pour qu'il revient au galop. Il serait idiot d'espérer accéder un jour à la démocratie avec cette qualité de dirigeants.

Entre trois choix : la voix de la démocratie et du modernisme, le statu quo et les projets néo-impérialistes de la Maison-Blanche, ils n'opteront que pour ce qui assure leurs pouvoirs dictatoriaux.

Que faire de ces réformes amorcées dernièrement par Moubarak et qui ne font en réalité que consacrer fermement l'autorité de Moubarak-fils et lui préparer le terrain pour succéder à son géniteur ?

Que faire de ces élections présidentielles algériennes qui ne sont, en fait qu'un acte de réconciliation aux acquis démocratiques et une phase avancée de l'instauration d'une autorité constituée ?

Peut-on se tromper et se fier aux officiels tunisiens, lorsqu'ils se vantent du modernisme de leur Etat et ne pas voir tout ce qu'endurent les hommes de l'opposition et de la presse indépendante, violés dans les prisons ou traqués et brutalisés par la police et la sécurité militaire ?

 Serait-on assez naïf pour s'emporter par l'enthousiasme panarabe à l'écoute des discours incendiaires du président yéménite propalestinien et contre Israël et ses amis alors qu'une carte verte a été délivrée par ses soins personnels aux équipes de la CIA pour travailler et abattre des citoyens yéménites dans leur patrie même !

Les Saoudiens qui croient qu'ils peuvent par quelques chaînes satellitaires blanchir leur image ne font en fait que donner une preuve de plus de leur entière inaptitude à l'évolution. Ce sont des systèmes cadavériques, politiquement en décomposition et pratiquement impossible à sauver. Leurs maladresses sont de plus en plus nombreuses, c'est la panique de la dernière heure ; ils ne font d'ailleurs que précipiter leur chute. S'ils semblent bien réussir à satisfaire les Américains et à les faire taire, le problème avec les peuples demeure insoluble ! Peut-on ramener quelqu'un à son lit et le convaincre de se rendormir, tout tenaillé par la faim et dans une ambiance volcanique de guerre.

Inertes, jusque-là, mous et impuissants, les peuples arabes frayeront, tôt ou tard, leur chemin vers la liberté et la démocratie. Ni américains ni européens, les acquis arrachés seront authentiques, imprégnés de sang et de sueur. Manifestement, ce chemin émancipateur sera, inévitablement, sur les cadavres de la pléiade des dirigeants actuels ou de leurs descendances.

Abderahmane Hamida Universitaire


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