Plitique , Etat de droit et democratie en Tunisiie
ENTRETIEN AVEC M. MOKHTAR YAHYAOUI

Mokhtar Yahyaoui ? Ce n’est pas uniquement un juge rebelle, il est aussi devenu un homme politique doté d’une légitimité incontestable. Auteur d’une mémorable lettre ouverte à M.Ben Ali, président du centre de l’indépendance de la justice, membre fondateur de l’association internationale de soutien aux prisonniers politiques, Mokhtar Yahyaoui est passé des illusions qui ont accompagné l’euphorie collective suite à sa lettre ouverte à M. Ben Ali aux désillusions. Les pires ennemis sont peut être ceux qui se disent appartenir au même clan. Après une inévitable traversée du désert, Mokhtar Yahyaoui est revenu avec un discours novateur. Franc, direct, incisif, il désigne les choses par leurs noms. Que faire donc face la dictature de M. Ben Ali ? Dans cet entretien, il évoque les élections d’octobre 2004, les partis de l’opposition et l’avenir du pays. On perçoit l’amertume et la déception de l’homme, mais surtout du courage et une inébranlable volonté de rebondir. D’autant plus que capitalisant une incontestable notoriété à l’intérieur ainsi que beaucoup d’estime et de considération à l’extérieur, Mokhtar Yahyaoui paraît incontournable pour l’avenir de la Tunisie.

Sami.Ben. Abdallah


1 - Quelles conclusions tirez-vous quant aux différentes stratégies de l’opposition (Initiative démocratique, Ettajdid, POCT, CPR, PDP, FDLT, Ennahdha) durant les élections d’octobre 2004 ?

Je n’ai vu aucune stratégie dans les différentes positions des partis que vous avez mentionnés. Chacun avait agit suivant ses propres intérêt et a cherché à faire de la surenchère sur la justesse de sa propre position pour se faire prévaloir sur les autres parties en leur faisant endosser la responsabilité de l’échec de toute tentative de coordination.
J’ai exprimé clairement mon avis sur ces élections et je ne sens aucune contradiction dans mes idées après leur fin. Le problème n’est pas dans une incapacité de prévoir ou d’avoir une vision de ce qui va se passer mais dans cette incapacité inhérente à l’opposition que vous mentionnez à se concerter.

Ils sortent plus seuls et plus vulnérables que jamais à en douter qu’ils puissent prétendre encore constituer une force de proposition pour le futur comme plusieurs les accréditaient auparavant. Je crois qu’ils ont laissé beaucoup de leur force symbolique par la posture qu’ils ont adopté dans les échéances passées et doivent se sentir condamnés à travailler ensemble pour parvenir à convaincre les autres de travailler avec eux.

2 - Quelles sont à votre avis les origines du blocage qui fait que l’opposition demeure inefficace?

Vous parlez certainement des partis d’oppositions reconnues ou tolérés dans une dictature qui ne fait que donner la preuve de son refus de ne reconnaître aucune diversité. Je pense que parce qu’ils sont inefficace et facile à contrôler qu’ils ont été reconnues ou tolérés et parce qu’ils tiennent à ce statut qu’il sont resté dépourvu de toute efficacité. C’est ici qu’on peut relever un important nœud de blocage.

On ne peut pas prétendre au beurre et à l’argent du beurre comme il leur avait été rappelé dernièrement. Ce n’est pas la dictature qui donne le statut d’opposant à un parti, un parti doit normalement se définir par sa mission et face à un système totalitaire un parti démocratique ne peut être qu’en rupture totale avec le régime qui lui est opposée.
Le mal premier de nos partis d’oppositions est qu’ils ont cherché à s’implanté dans le système au lieu de s’implanter dans la société. Ainsi il sont demeurés les otages du système qu’ils combattaient.

3 - De Moncef Marzouki, à Nejib Chebbi, à Mohammed Halaouani à Mustapha Ben Jaafar et bien d’autres, il est aujourd’hui, un constat assez partagé entre les acteurs politiques quant à la nécessité que l’Opposition renoue avec la société. Au delà du discours, quel plan d’action concret suggérez-vous à cette fin ?

Le problème n’est pas dans leurs volontés de renouer avec la société mais dans la réceptivité de la société de leur discours. Je pense aussi que le terme renouer est mal approprié car il laisse entendre qu’il y avait un lien précédent qui à été rompu alors que tous les noms cités sont des émules de groupuscules de gauche sans attaches réelles avec la réalité sociale.

Je regrette de dire que les personnes que vous avez nommées sont tous les titres de projets avortés dont il ne reste plus que leurs noms. On ne peut aujourd’hui que se rappeler du projet du rassemblement progressiste qui à donné naissance à l’RSP aujourd’hui PSP, le FDTL été aussi le fruit d’un large débat de rénovation de la sphère politique du pays qui a engagé beaucoup de monde dans l’espoir de bâtir un parti progressiste populaire et déçu autant ; sans parler du congrès pour la république. Ces différentes expériences ont pratiquement connue le même sort de peau de chagrin qui se rétréci au lieu de tendre vers l’expansion et la diversification. Aujourd’hui l’initiative démocratique est le dernier né de ces expériences mort-nées et n’a rien donné comme signe qui permet de la juger différemment.

On peut certes amputer à la dictature et au blocage politique et toutes sortes d’interdiction qu’on connaît une grande part de responsabilité dans le délitement de ces formations et leur déficit de représentativité, mais il est évident que ça ne suffit pas à expliquer tout.

Personnellement je ne crois pas que je suis en position de suggérer à qui que ce soit un plan d’action ou une stratégie pour renouer avec la société. Je crois qu’on ne peut pas assumer le rôle de représenter la société dans ses présentes revendications si on n’est pas soi même son émanation directe et si on ne porte pas dans son âme et dans son esprit ses véritables préoccupations. Il est clair que le pouvoir sur lequel est concentré l’essentiel de l’intérêt de l’élite aujourd’hui en Tunisie n’est pas une préoccupation populaire et cette divergence sur le priorité entre l’élite et les masses populaire rend leur rapport plus suspects si elle ne donne pas les signes d’une rupture déjà consommé.

4 - On parle aujourd’hui de la nécessité de construire un pole démocratique et progressiste sur une base idéologique (qui exclurait donc les islamistes) qu’on oppose à un autre pole patriotique ou un front qui les intègre. Qu’en pensez-vous ?

Le débat concernant la constitution d’un pole progressiste ne date pas d’aujourd’hui ni de quelques années. Il a toujours agité les milieux de l’élite depuis le début de la crise de l’expérience de Bourguiba et n’a jamais rien donnée. Le mouvement de l’unité populaire et le mouvement des démocrates socialistes étés issues de ce genre d’initiatives depuis le début des années 70. Rien n’empêche aujourd’hui un tel rassemblement de se constituer sauf la nature même de ses éléments inaptes à se rassembler dans un seul mouvement. Je crois que l’idée de l’initiative démocratique procède de ce genre d’entreprise et peut s’élargir pour englober les autres composantes de la gauche laïque, mais le problème n’est pas dans la réalisation du projet en lui-même mais dans sa fonction et son impact sur la réalité et sa capacité de transformé la passivité sociale en engagement pour un véritable changement.

Le problème le plus pressent à mon sens est de réinventer la gauche et de lui trouver une mission dans notre société. La modernité qu’elle défend prête à confusion au point qu’on peut affirmer qu’elle ne peut être mieux défendu comme elle l’est par la dictature aujourd’hui. La démocratie qu’elle revendique est biaisée dans ses fondements et repose sur le même esprit d’exclusion et d’éradication pratiqué maintenant comme on peut affirmer qu’il ne sont pas le modèle attrayant par leur gestion de leurs propres organisations et en fin son projet de rassemblement ou de pole n’est en réalité qu’une fausse réplique de celui réalisé par Bourguiba et sur lequel avait été fondé l’état Tunisien indépendant et dont on est en présence de ses catastrophique conséquences après 50 ans.

Je suis personnellement pour un courant patriotique d’émancipation sociale qui doit avoir pour mission de conduire les tunisiens vers la démocratie. Ce courant doit être ouvert à tous et n’exclure que ceux qui s’excluent eux même ou ceux qui cherchent à poser des conditions. je ne crois pas non plus qu’il doit être constitué d’une coalitions de partis existants mais plutôt de leur implosion et qu’il doit pouvoir préparer de nouvelle générations d’acteurs politique indépendantes et immunisés des séquelles des luttes idéologique du passé.

5 - Il y a aujourd’hui un labyrinthe dans les milieux des dissidents tunisiens qu’est les « Islamistes ». Certains les identifient à Ennahdha et d’autres distinguent ennahdha et « ses » islamistes des islamistes en général en remettant en question la représentativité d’Ennahdha. Que vous inspire un tel constat ?

Je ne me situ pas personnellement dans cette dualité qui partage le pays entre islamistes et non islamistes. Il est clair qu’il existe un mouvement politique important appelé Ennahdha et qui peut être considérée potentiellement comme le second parti dans le pays comme. il est évident que tout indice d’ouverture politique va transformer cette organisation en enjeux majeurs dont beaucoup vont disputer l’héritage et la responsabilité. Il dépend de ses responsables d’être conscients de ce qui les attend et de se préparer pour que leur parti soit le lieux ou les nouvelle générations du courant islamistes puissent se trouver. Je pense qu’il est dans l’intérêt du pays que l’expérience de l’éclatement de la gauche ne se répète pas à droite aussi.

6 - La Gauche en Tunisie semble vivre une crise d’identité. En particulier, certaines de ses composantes à gauche qui vivent une crise de légitimité voir même existentielle qui n’est pas sans rappeler la crise d’identité que vit le Tunisien. Pour ses composantes à gauche, minoritaires mais très présentes médiatiquement, la crise existentielle se manifeste au niveau du discours et du comportement politique qui donnent l’impression que leur seul projet politique se réduit à l’éradication des islamistes et à tout ce qui a trait à l’identité arabo-musulmane et à cette fin, elles sont prêtes à toutes les compromissions quitte à s’allier avec M. Ben Ali. A quel point partagez-vous ce constat et quelles réflexions vous inspire-t-il ?

Je ne crois pas que cette vision de la gauche soit juste et qu’elle peut être projeté sur l’ensemble de cette mouvance. J’ai répondu plus haut à une partie de cette question.

Une alliance de la gauche avec le pouvoir ne lui avait jamais manqué depuis l’indépendance et ne lui avait rien apporté de plus de ce qu’il est. Il y a plus que la gauche et les islamistes dans le pays et cela beaucoup semblent l’oublier.

Je pense qu’il y a une disposition dans la loi actuelle organisant les partis politiques qui interdit la reconnaissance de tout parti qui renie l’identité arabo-musulmane du pays

7 - Récemment M. Nejib Chebbi a fait nombre de propositions pour sortir de la crise. L’on décèle entre les lignes, un autocritique et une volonté d’agir. Cependant, la trajectoire personnelle de M.Chebbi et du PDP surtout dans sa stratégie de la «participation-boycott» des élections d’octobre 2004 semblent susciter encore de la méfiance, des reproches et de la déception de la part des autres acteurs politiques. Quelles réflexions vous inspirent ces propositions ainsi que ce constat ? En quoi peuvent-elles être un facteur de stimulation de l’action de l’Opposition surtout dans l’attente de cette échéance politique si lointaine et si proche qu’est les élections présidentielles e 2009 qui n’augurent rien de saint pour la Tunisie.

Mr Chammari vient aussi de faire un nombre de propositions comme Mr Marzouki aussi l’a fait et d’autre continuent à chercher des énumérations fantaisistes qui révèlent tous au moins un différend sur les priorités.

J’espère en tout cas qu’on puissent renter dans un cycle de rassemblement de force même si ce que je vois est la prévalence des démembrements des différends, des scission et des abondons.

Le problème avec vos questions est que les critères et les notions sur lesquels sont basée paraissent dépassées et ne peuvent pas rendre compte de la réalité ni des idées qui peuvent être exprimés sur la crise que traverse notre pays.

* TUNISNEWS N° 1657 www.tunisnews.net


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