« Abou Gharib » d’Irak et « Abou Gharaib » de la Tunisie
Par Mohammed Abou
Nombreux
sont ceux qui ont été choqués d’entendre ce qui s’est passé à nos
frères irakiens à la prison d’Abou Gharib par les forces d’occupation
(torture, atteinte à la dignité, agressions sexuelles) et ont exprimé
leur profonde émotion pour ce qu’ils ont vu.
Cependant,
celui qui suit l’actualité sera étonné et s’interrogera sur cette
réaction courroucée surtout si l’on sache que ce qui a été rapporté sur
les violations à la prison d’Abou Gharib ne dépasse pas dans son
horreur ce qui se passe dans les prisons tunisiennes et les locaux des
diverses unités de sécurité et postes de sûreté et au siège du
ministère de l’intérieur sans que tout cela ne suscite un intérêt
semblable.
Cela
a-t-il un rapport avec « la lampe de Bab Menara qui « ne s’allume que
pour les étrangers » 1 ou s’agit-il alors de troubles de la vue qui
engendrent une presbytie accompagnée d’une myopie qui fait que nous ne
pouvons voir nos frères qu’à une distance minimale de 2400 km ?
Une
réponse objective ne peut négliger l’effet de l’information. En fait,
le scandale d’Abou Gharib a été relayé par tous les médias étrangers et
locaux au point que la chaîne Tunis 7 a diffusé les photos de la
torture et que les journaux de la désinformation ont fait de même.
C’est
ainsi qu’un large public a pris connaissance de ces informations
contrairement aux échos des violations en Tunisie qui n’ont été
diffusés que sur Internet, non accessible à tous, ou grâce à la chaîne
« Almustakilla » qui a connue une forte audience durant une certaine
période avant que son propriétaire ne découvre les mérites et
privilèges de la « modération ».
Cela
explique encore pourquoi le large public en Tunisie ne soit pas au
courant des horreurs commises dans le pays par des compatriotes.
Un
autre facteur, cette fois d’ordre culturel, explique le phénomène, Ã
savoir la haine de l’étranger et le refus de l’occupant tout en
acceptant la dictature locale pratiquée par un tyran de confession
musulmane. Cela trouve appui dans l’idée alimentée par quelques
juristes musulmans et qui stipule que vivre 70 ans sous la dictature
est mieux que la « Fitna » (discordance).
Aussi
est-il que le tunisien qui critique les américains n’a rien à craindre
contrairement à la critique adressée à un compatriote pour laquelle il
pourra payer une lourde tribu, ce dont beaucoup ne désirent pas le
faire.
Cette
problématique du sacrifice est d’une importance majeure pour notre
sujet. Si on prend, à titre d’exemple, les avocats qui plaident dans
les affaires politiques, on constatera que leur nombre est faible en
Tunisie. Pour les autres pays arabes, j’ignore leur proportion, à part
le fait que près de 2000 avocats se sont portés à la défense du doyen
des dictateurs arabes, Saddam Hussein, avant qu’ils ne renoncent Ã
voyager en Irak lorsqu’ils ont réalisé que leur vie sera en danger. A
mon avis, cette attitude contredit leur foi dans l’affaire qu’ils
défendent, que cette défense ait pour but seulement de garantir un
procès équitable à un homme ou la défense d’un leader exceptionnel dont
les femmes n’accoucheraient plus jamais d’un semblable.
Tout
modestement, et j’espère avoir tort, il y’a parmi nous des gens qui ne
veulent pas perdre la qualité de militant devant le public sans qu’ils
soient pour autant prêts à assumer les lourdes conséquences que peut
engendrer leur lutte. La défense de la cause palestinienne ou irakienne
leur offre une échappatoire qui leur permet de mener une lutte
confortable et cela sans qu’ils soient capables de fournir un soutien
effectif à nos frères en Palestine ou en Irak. Tout ce qu’ils font
c’est de consolider le pouvoir du dictateur local en détournant les
gens de le confronter et en dirigeant leur regard vers d’autres.
Les
irakiens sont capables, à eux seuls, de mettre fin à l’occupation.
Parmi eux, il y’a ceux qui mènent avec brio et efficacité une
opposition politique. D’autres ont choisi la résistance armée pour
renvoyer l’occupant et ont témoigné d’un courage et de hautes capacités
guerrières pouvant se passer de tous nos efforts pour les soutenir.
Quant
aux tunisiens, louange à Dieu qu’ils ont eu le mérite que quelques
jeunes des leurs aient participés à la lutte de leurs frères en
Palestine et en Irak. La honte en Tunisie ne nous vient pas des
sionistes ou des américains mais des mesures et des jugements trop
sévères prononcés, au nom du peuple tunisien, contre ceux qui rêvaient
de participer à la lutte palestinienne comme les jeunes internautes de
Zarzis et les jeunes de l’Ariana sans qu’il soit prouvé qu’ils aient
commis des actes criminels en Tunisie.
La
honte nous touche également du fait que les violations commises par les
américains à la prison d’Abou Gharib (torture, chocs électriques,
agressions sexuelles et déshabillement des détenus) n’a pas égalé
l’horreur de ce que des tunisiens ont fait avec leurs compatriotes,
notamment par l’arrachement des ongles, l’introduction de bâtons dans
l’anus, la brûlure aux cigarettes, l’introduction des fils dans les
parties génitales, la sodomisation des jeunes filles et garçons et le
fait de forcer les victimes à manger de leurs excréments.
A
cela, il faut ajouter l’élargissement du cercle de la répression aux
familles et d’autres techniques qui font honte à tous ceux qui se sont
tus face à ces pratiques, à commencer par les chefs des tortionnaires
en passant par le peuple tunisien et en arrivant au président de l’Etat
chargé, par la Constitution, de veiller au respect de la Constitution
et de la loi. Ce dernier, soit ignore ce que commet les fonctionnaires
de l’Etat, et dans ce cas n’est pas apte à cette fonction, soit sait ce
qui se passe ou l’ordonne et dans ce cas il ne mérite pas de gouverner
les tunisiens, ni les Hutus et les Tutsis.
Et
à ceux qui justifiaient la répression au début des années 90 par
l’impératif de confronter à un mouvement puissant qui menaçait l’ordre
public, la stabilité et la marche ordinaire des institutions ; en
admettant leur hypothèse l’on est en droit de s’interroger comment
peuvent-ils expliquer la poursuite des atteintes dont étaient victimes
les islamistes, les islamistes présumés, les gens de la gauche et même
les prévenus du droit commun ? Comment peut-on expliquer les agressions
contre le prisonnier Nabil El Ouaer dans sa cellule à la prison de Borj
Erroumi et sa sodomisation par quatre autres prisonniers
sur
ordre de l’administration pénitentiaire ? Comment expliquer les
obstacles érigés devant la justice l’empêche de jouer son rôle et
instruire les plaintes des victimes contre les agents de l’Etat et les
détenteurs du pouvoir.
Qu’on
le dise franchement que l’occupation de l’Irak a eu des retombées
négatives sur les tunisiens qui paraissent être démoralisés ce qui se
manifeste dans leur désintérêt à l’actualité surtout nationale alors
qu’on s’attendait que les efforts se conjuguent pour chercher une issue
à la crise du pays.
Quant
à nos rêves panarabes, il est clair que les dirigeants n’en ont rien
fait avec leurs slogans et leurs armées et il ne reste de solution que
la lutte de tous les arabes dans leurs pays pour se débarrasser de la
dictature et l’instauration de régimes démocratiques qui expriment la
volonté populaire et c’est à ce moment que l’union arabe sera
concrétisée et qu’on trouvera la solution pour la cause palestinienne
et toutes les autres causes.
J’adresse
un message à nos jeunes qui veulent combattre au sein de la résistance
irakienne et qui ont été arrêtés et déférés devant la justice pour
avoir simplement pensé aller en Irak sur la base de la loi sur le
terrorisme, je les supplie personnellement de choisir la Tunisie comme
terre pour mener le combat. Et si celui-ci est armé en Irak, ils
n’auront besoin en Tunisie que du courage de dire non face au dictateur
qui comme ses pairs dans d’autres pays arabes, est la cause de notre
sous-développement.
Cela
exige aussi de se débarrasser soi-même des comportements inadéquats qui
portent préjudice à notre patrie comme les pots-de-vin, les combines,
l’égoïsme et l’hypocrisie. Il exige aussi d’avoir un minimum de culture
et de connaissances car le courage à lui seul ne suffit pas. On a
l’exemple des afghans qui, après avoir libéré leur pays, se sont
tournés les uns contre les autres en raison de l’absence d’un projet
politique clair et l’incompréhension des exigences de la vie
contemporaine et de la culture démocratique.
Je
rappelle aussi à ces jeunes que leur départ pour soutenir la résistance
irakienne n’est utile ni aux irakiens ni aux tunisiens. Le seul qui en
profitera sera le régime au pouvoir qui se présentera comme un allié
engagé dans le projet américain de lutte contre le terrorisme alors que
c’est lui qui pratique le terrorisme, l’institutionnalise et l’alimente
par la répression, l’oppression, le trucage des accusations contre les
innocents et le blocage de toute voie d’alternance pacifique dans le
pays.
J’appelle
également ceux qui boycottent les produits américains de commencer par
le boycott des produits et entreprises détenues par les familles
soutenues par le pouvoir politique et qui ont ramassé des fortunes
énormes dans peu de temps. L’établissement d’une liste des ces produits
et entreprises est un devoir national dans lequel doit s’engager tous
les citoyens en l’absence d’une autre solution pour maîtriser leur
avidité.
Lorsqu’on
arrive à arranger notre ménage intérieur et qu’on puisse créer un vrai
changement dans notre pays, on pourra à ce moment viser plus haut.
• « Abou Gharaib » C’est un jeu de mot qui veut dire, mystères de la Tunisie
••
Le texte du présent article a fait objet de la commission rogatoire
délivrée contre Me Mohamed Abbou qui à servie d’alibi pour son
arrestation et pour lequel il a été condamné à trois ans et six mois de
prison.
••• Le texte original en langue arabe à été publié par TUNISNEWS en date du 25 août 2004